Croire que les élections européennes du 4 au 7 juin, même plombées par l’abstention, n’auront pas d’impact sur le dossier piégé de la fiscalité entre la Suisse et l’UE serait une grave erreur.
La chasse au secret bancaire et aux paradis fiscaux est l’un des rares thèmes électoraux à faire recette dans les vingt-sept pays de l’Union. Ce n’est pas là le résultat d’un sondage, encore qu’il serait utile d’avoir, sur ce sujet, les résultats d’une enquête d’opinion fiable, genre Eurobaromètre. Je tiens cette affirmation d’au moins une dizaine d’eurodéputés, tous groupes politiques confondus, affairés ces jours-ci à convaincre tant bien que mal leurs électeurs démobilisés. Rien d’étonnant d’ailleurs: le sujet, fort médiatisé, a fini par s’imposer de Bruxelles à Bucarest. Avantage: il s’explique et se résume aisément. Bien plus aisément, en tout, cas que la moyenne des sujets européens dont la complexité décourage d’ordinaire les citoyens. Non sans risque de caricature.
Ceux qui, ces jours-ci à Bruxelles ou à Berne, expliquent l’air bien sûrs d’eux que la tempête du G20 est derrière nous, et que ce qui se passera à Strasbourg – l’Europarlement n’ayant pas de pouvoirs en matière fiscale – compte pour du beurre ou presque, feraient donc bien de surveiller ce qui sortira du secret des urnes. L’on dit déjà, dans la capitale belge, que le prochain commissaire européen chargé de la fiscalité, poste jusque-là guère prisé, devra être adoubé par les grands pays et montrer sa ténacité envers les juridictions non coopératives, ou trop lentes à coopérer selon les critères de l’UE.
L’on s’attend aussi, en cas de poussée de l’extrême-gauche et des Verts, à ce que le futur président de la Commission européenne, qui devrait être avalisé lors de la première réunion du parlement le 15 juillet, doive prendre des engagements sur le sujet devant l’europarlement. Autant de moments délicats à venir pour la Suisse, dont les efforts pour accélérer la renégociation des indispensables conventions de double imposition risquent de buter sur le calendrier imposé par le G20. Une nouvelle réunion des ministres des finances du groupe est évoquée pour septembre. Un nouveau sommet, au niveau des chefs d’Etat, est envisagé pour novembre. Le Département fédéral des finances, qui a confirmé ce week-end avoir bouclé deux accords sans identifier les pays (Danemark et Luxembourg sont évoqués) a plus que du pain sur la planche.
Car la riposte ne pourra pas seulement consister à atteindre le chiffre «magique» des douze conventions exigées par l’OCDE. Il faudra aussi faire de la politique. On sait déjà, par exemple, que l’adoption promise par la Belgique de l’échange automatique d’informations en matière fiscale, au 1er janvier 2010 – et l’abandon contigu de son secret bancaire pour les non-résidents – sera une aubaine pour les détracteurs de tous bords des pratiques helvétiques. S’y préparer est par conséquent indispensable. Les élections européennes imposent une réflexion sur l’ensemble de l’architecture bilatérale durant la législature 2009-2014.
On sait aussi que l’entrée en fonction du nouveau Parlement européen se fera sous une présidence suédoise de l’UE qui ne fait pas mystère de son intransigeance fiscale. Lors du Forum économique de Bruxelles, les 14 et 15 mai, le programme officiel de la Commission présentait le ministre suédois des finances, Anders Borg, comme un «homme de fer» bien décidé à imprimer sa marque. Gare, enfin, aux surprises venues des autres juridictions ou Etats-tiers ciblées par la liste grise de l’OCDE. L’habileté dont firent preuve Jersey et Guernesey pour signer le nombre de conventions fiscales requises avant le G20 du 2 avril à Londres pourrait bien faire des émules sous d’autres formes. La Commission européenne parle beaucoup, ces temps-ci, avec Monaco et Andorre. Lesquels puisent en partie leurs idées au Liechtenstein, dont le gouvernement fait de son mieux pour satisfaire les exigences communautaires.
Berne, à juste titre, ne manquera pas de dire que, bien plus que ces micro-Etats, d’autres doivent agir et montrer «patte blanche», comme Singapour, Hong-Kong ou Macao, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ ils paraissent peu pressés. Mais quand même: Monaco et Andorre blanchis. Le Liechtenstein devenu «bon élève». Le Luxembourg affairé à tricoter des alliances au sein de l’UE. On est en septembre 2009. La Suisse a beau négocier d’arrache pied, elle reste isolée. Un tel scénario rimerait bel et bien avec «danger».
Richard Werly, Le Temps
(Source "Le Temps" : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/1dd8b7ec-48f1-11de-9896-a800b234788e/Secret_bancaire_et_secret_des_urnes)
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