Fraude. Fruit d’une négociation diplomatique serrée, la nouvelle classification s’avère laxiste
Question piège : qui sont les trois pays considérés comme les plus grands paradis fiscaux selon le G20 ? Sont-ce les îles Caïman, la Suisse, les Bermudes (les principaux centres financiers offshore de la planète) ? Pas du tout. Les nouveaux pestiférés de la finance mondiale ont pour nom Costa Rica, Philippines, île de Labuan (une zone franche de la Malaisie), l’Uruguay ayant été retiré de cette liste vendredi soir, 24 heures après que l’OCDE eut établi celle des pays «fiscalement non coopératifs», c’est-à-dire qui n’ont pas (ou pas encore) signé au moins 12 conventions de coopération avec d’autres pays membres de l’organisation.
Pour le coup, c’est une surprise. Les trois pays figurant sur cette «liste noire» se voient reprocher de n’avoir pris «aucun engagement de se plier aux standards internationaux sur le plan fiscal». Quant aux principaux centres offshore connus, l’OCDE les cite, mais sur une «liste grise» à part, qui inclut les pays ayant pris des engagements, mais ne les ayant pas «substantiellement» mis en œuvre. Et certains territoires, comme Jersey ou la Barbade, ont même eu le plaisir de faire partie de la «liste blanche», aux côtés de la France et des principaux pays de la planète. Du coup, l’initiative du G20 contre le secret bancaire et les paradis fiscaux s’en est trouvée de beaucoup relativisée.
Déconseillée. Les accusés présents sur la première liste noire, d’abord, font pâle figure. «Ils doivent leur présence sur cette liste avant tout à l’absence de défenseur autour de la table du G20», juge ainsi Jean Merckaert, du Comité catholique contre la faim et pour le développement. Exemple, l’Uruguay. Longtemps connu en Amérique du Sud pour son secret bancaire et sa législation accommodante, la destination est maintenant déconseillée par tous les spécialistes de l’évasion fiscale. Le gouvernement vient de supprimer les sociétés anonymes d’investissement financier.
Autre doute quant à l’efficacité du procédé, le nombre de pays présents sur la liste grise à se déclarer pas mécontents. Si du côté de la Suisse, on «déplorait» vendredi «le procédé» et «les critères qui ont servi à établir la liste» (lire ci-contre), l’Autriche affirmait s’accommoder tout à fait d’être mollement pointé, ajoutant même que le «secret bancaire autrichien n’en serait pas affecté». Et à Monaco ou en Andorre, jusqu’à présent dans la liste noire, c’était le bonheur. «Le fait que l’Andorre soit dans la liste grise de l’OCDE est positif», déclarait le gouvernement andorran, tandis que son homologue monégasque se disait «satisfait» d’avoir quitté «une liste noire totalement obsolète». Résultat de ce manque de fermeté du G20, des ONG partagées. «Nous sommes très satisfaits qu’il existe désormais ces listes, a ainsi fait savoir vendredi Transparency International. C’est une bénédiction.» Mais pour Oxfam France, «les listes de paradis fiscaux publiées ne sont pas l’outil attendu. La liste des pays censés respecter "substantiellement" les standards de l’OCDE est étonnamment longue».
«Décrédibilisée». Explication de cette demi-déception, la négociation diplomatique a été très serrée. A l’origine, de nombreux pays, comme la Chine, ne voulaient pas entendre parler du concept même de liste. Et, pour obtenir un résultat, les partisans d’une mise au ban des paradis fiscaux ont dû faire de nombreuses concessions. «Après tout ce qu’il avait promis, Sarkozy ne pouvait pas sortir de ce G20 sans liste noire. Du coup, il a laissé paraître une liste décrédibilisée», estime Jean Merckaert. Ainsi, pour ne pas fâcher la Chine, Macao ou Hongkong ont été effacés des listes et ne sont plus désignées, dans une note, que comme «région administrative spéciale».
Par rapport à sa position initiale, la France a aussi reculé en acceptant de laisser seulement à l’OCDE le soin de désigner les bons et les méchants paradis. Pour Oxfam, d’autres logiques, comme celle du Gafi (Groupe d’action financière), qui s’intéresse au blanchiment, ou celle du Forum de stabilité financière, attentif à la surveillance des marchés financiers, auraient sûrement donné une image plus complète de la dangerosité des places offshore. Ainsi, si l’on avait tenu compte de la spécialité de Jersey, le Trust, une entité juridique permettant de dissimuler ses véritables propriétaires, l’île anglo-normande ne se serait peut-être pas retrouvée sur la liste blanche… De toute façon, ces listes ne servent pas à grand-chose sans sanction. Et, sur ce point, le G20 a promis qu’il allait passer aux actes. Tout reste donc à faire.
NICOLAS CORI, Libération
(Source "Libération" : http://www.liberation.fr/economie/0101560153-paradis-fiscaux-des-listes-bien-pales)
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